samedi 27 avril 2013

C'est quand qu'on arrive?

 
 
 
 
Dans un ultime hoquet le moteur de la 203 s'arrêta et une fois nos pauvres oreilles remises d'un traumatisme qui avait duré une éternité, on put entendre l'oncle Hubert annoncer solennellement qu'on était arrivés... répondant du même coup à la centième et même question de petit Pierre.
Entre nous on se jetait des regards inquiets, découvrant - incrédules - ce grand talus envahi d'herbes folles, de paillis, de vilaines ronces et creusé de larges marches inégales qui cachait à notre vue cette immensité liquide qu'on mourait de découvrir.
Ze crois qu'elle s'est cassée la mer!” s'écria petit Pierre en zozotant, ce qu'il faisait à la perfection depuis son plus zeune âze.
“La grande bleue est devant nous! En avant mauvaise troupe!” ordonna oncle Hubert tout en terminant une série de flexions des jambes des plus sophistiquées.
Je me gardai bien de l'imiter - bien qu'ayant été élu à l'unanimité “singe parmi les singes” - et je sautai sur la première marche de bois pourri en évitant une ortie sournoise.
 
Le nez au vent chacun guettait ce parfum magique et inconnu, ce fameux air iodé qui selon notre oncle contenait suffisamment d'ions négatifs pour réveiller les morts!
Seule l'odeur des herbes desséchées et de vagues relents de gasoil et de pneu brûlé venaient me chatouiller les narines.
Déjà notre petite troupe escaladait le talus, poursuivie par un beuglant “Qu'on voit danser le long des golfes clairs” du ténor Hubert!
Aussi personne n'entendit les “C'est quand qu'on arrive” de petit Pierre relégué en queue de colonne et guère motivé par les “blancs moutons et la bergère d'azur” d'un oncle un tantinet essoufflé.
Bien sûr Eglantine et moi avions organisé la course en tête, trop fiers de pouvoir embrasser le panorama avant les autres.
Je ne saurais dire qui de nous deux poussa le premier cri d'horreur une fois le sommet franchi... car il n'y avait vraiment rien à embrasser.
 
Des vols de corneilles se disputaient des vagues de détritus hautes comme des montagnes qui s'étendaient à perte de vue.
Au loin, deux vieux bulldozers semblaient abandonnés à la rouille et au vent mauvais qui rabattait sur nous une puanteur indescriptible.
Petit Pierre en perdit son zozotement :”C'est ça la mer? Si j'aurais su j'aurais resté avec Tatie!”
Reprenant son souffle sur la dernière marche l'oncle acheva un “bercer mon coeur pour la vi-i-i-e...” avant de perdre à nouveau le souffle.
Sans aucun doute, l'océan tant espéré était ailleurs, bien loin de cet immonde témoin du gâchis des hommes.
 
L'oncle n'eut rien à dire - d'ailleurs nous ne lui demandions rien, ni explication ni commentaire - et nous tournâmes les talons à cette mer de détritus, le nez pincé et la bouche grande ouverte.
 
En bas du talus, la 203 ne nous avait pas attendus, sans doute victime d'un frein à main mal serré qui l'avait laissée dériver dans un bosquet d'épineux où nous eûmes le grand plaisir de voir se débattre oncle Hubert.
Rouge de honte et de griffures, il nous ramena à la maison sans qu'aucun accent du “fou chantant“ ne vienne couvrir à nouveau les furieux rugissements de la voiture...
 
Aujourd'hui encore quand je vois un talus, je suis toujours partagé entre la curiosité d'aller voir au-delà et la peur d'être déçu.


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