lundi 3 février 2014

Astringence

Sur le thème Autoportrait des Impromptus Littéraires
 
 
 
 
 
Tu n'as jamais vraiment su si tu sortais d'un chou ou du panier d'une cigogne, mais rose et joufflu Tu devins vite le centre de ton petit monde.
Capitaine de pédalo bien avant d'autres, tes seuls faits d'armes au bord du lac des Settons - on dit Cheutons en bon bourguignon - furent les saumons de fontaine qui daignaient s'accrocher à ta gaule et surtout ramener saine et sauve au rivage la Fernande sans qu'elle gauge sa jolie robe du dimanche.

Ton héros s'appelait Archibald Haddock, capitaine de la marine marchande belge (parfaitement, 70 kilomètres de côtes suffisent à posséder une marine!) et tu ignorais que ton Haddock baladait la Castafiore en DS19 quand tel autre prédestiné aux plus hautes distinctions tétait encore sa mère rue des Carmes à Rouen.
 
Dans les années 50 Tu tétais déjà du Gevrey - puisque né sur une Côte liquide - et en douce, un fond de Meursault les jours de la saint Vincent. C'était disait-on l'année des François.
Avant les évènements qui durèrent quand même 8 ans, Tu ne connaissais de l'Algérie que le Sidi Brahim d'un propriétaire algérois venu faire le courtier à Mâcon.
A Ton âge on s'imagine que le pouvoir appartient aux audacieux capables de traverser la grande bleue pour faire des affaires sur Tes terres et dans Tes vignes! Tu comprenais déjà que Ton pédalo ne ferait pas le poids.
Aux déclarations d'un François M. à la TSF, Tu préférais le Quitte ou Double et les feuilletons beaucoup plus rigolos de Zappy Max, comme le savoureux “ça va bouillir” sponsorisé par la toute puissante lessive Sunil (où va donc se nicher le pouvoir).
 
A l'école Tu appris non sans peine et quelques cheveux tirés - les plus courts à la tempe, ceux qui tirent aussi des larmes - la technique du “bras croisés”qui a bien évolué de nos jours, remplacée par celle du doigt d'honneur qui permet en même temps de touiter sur son smartphone tout en se roulant un joint.
 
Mais c'est dans les années 60 que Ton destin s'est scellé: entre pouvoir et rigolade, Tu as choisi de rigoler.
Tes amoureuses se prénommaient Martine, Nathalie ou Brigitte et pas Ségolène. Tu fréquentas pourtant Léna - venue d'un lointain pays de l'Est - mais ce qu'elle T'apprit n'avait rien à voir avec la grande école du pouvoir où les cuvées d'exception se suivent, s'assemblent et se ressemblent.
Untel connut le sabre et le casoar de Saint-Cyr Coëtquidan, Toi les rangers et le casque lourd de Rastatt en Allemagne... déjà le pouvoir se distinguait par le simple déguisement.
Si sa devise fut “Ils s'instruisent pour vaincre” la Tienne fut “La quille, Bordel”.
Le pouvoir écoutait Léo Ferré et Toi Black Sabbath, il arrosait ses vacances au Chignin rouge et Toi au Passetoutgrain. Comment aurais-Tu pu rivaliser?
 
Si aujourd'hui on T'offrait inopinément le siège du pédalo et les galons du capitaine, Tu sais bien que Tu refuserais; Ton lac des Settons est devenu une mer agitée aux courants sournois où quelques rares carnassiers, sandres ou brochets y bouffent ce qui reste des petits.
Tout a changé. Tu imagines que la Fernande doit faire cent vingt kilos, qu'elle regarde les Feux de l'amour... et de toute façon Tu ne pédales plus comme avant.
 
Il Te reste de cette période comme une amertume en bouche, un goût austère, astringent, l'étrange sensation d'avoir frôlé le pouvoir à l'âge où tout parait possible quand le soleil allume le grès couleur miel d'un château parmi les treilles prometteuses d'un grand cru...  
 

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