mardi 10 janvier 2012

Ceux du château

 
Publié sur le site MotImageCitation d'après l'oeuvre de Romero de Torres
 
 


C'était un matin radieux - sans doute le plus radieux de la terre - un de ces matins où les yeux fatigués par une nuit agitée n'en peuvent déjà plus de cette blancheur omniprésente qui rend tout beau, jusqu'à mon pauvre logis.
Comme une apparition divine elle se tenait, fragile et forte à la fois, appuyée au chambranle de la porte dans une robe simple et sage de batiste blanche à col montant et large volant bleu, et j'ignore comment j'ai pu mémoriser ces détails tant son regard me captivait.

Assise sur le seuil, sa gamine avait le même regard mais en plus triste.
Dans la vallée on disait que celle-là était du facteur mais je n'ai jamais fait cas des ragots du village et avec les mêmes yeux que sa mère, les mêmes cheveux indisciplinés elle ne ressemblait à aucun des postiers moustachus du canton.

Ma déesse n'a pas eu besoin de parler et son joli pied engagé sur le carreau semblait dire "Me voici et je reste"... et elle allait rester.
Les cheveux rebelles enfermés dans un chignon monté à la hâte accentuaient l'ovale parfait de son visage et lui donnaient une blancheur et une grâce incomparables.
D'ailleurs comment aurait-elle pu parler? Sa voix était morte dans sa gorge le jour où le vieux Almodovar avait cogné un peu trop fort.

Comme j'osais demander "C'est tout ce que tu apportes?", elle prit contre elle le petit dernier et elle le serrait si fort contre son sein que j'enviai aussitôt sa place.
On racontait que celui-là était "du château" mais tout ce qui venait "du château" m'importait peu à part elle depuis que les nouveaux bourgeois s'y étaient établis à la mort du tyran, jetant sur la route cette mauvaise fille.

Les gosses, c'est pas ce qui m'enchantait le plus, j'aurais préféré la prendre seule, l'avoir rien qu'à moi mais leurs regards à tous les trois ne me laissaient aucun choix.
Je n'avais rien et eux encore moins, ce qui faisait peu à nous quatre mais la carrée inondée de soleil leur offrait déjà ses ors riches et chatoyants.

A mes pieds les trois chats ronronnaient de plaisir.

Le petit dernier n'a pas eu besoin de sourire, et la gamine pas besoin de m'implorer plus longtemps... ma déesse n'a eu qu'à pousser un peu plus son joli pied sur le sol, balayant dans ce gracieux mouvement le volant bleu de sa robe et tous mes préjugés.

"Pourquoi m'avoir choisi, moi?"
Je ne sais si je l'ai dit ou pensé très fort mais j'avais ma réponse dans ses yeux, dans ce même regard qui m'envoutait lorsque j'offrais des fruits aux gamins quand d'autres leur lançaient pierres et crachats.

  

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