lundi 23 mars 2015

C'est du gâteau


Cette semaine aux Impromptus Littéraires, c'est douceur et volupté... une invitation à se délecter sans modération de l'expression: C'est du gâteau




De l'Opéra à Saint-Honoré, il n'y a qu'un pas - le pas de la rue de la Paix - que Charlotte pourrait franchir en un éclair si elle ne décidait chaque matin de faire le détour par la rue Cambon.
C'est plus fort qu'elle, la vitrine de notre concurrent Pierre Hermé l'attire tel un aimant où le magnétisme de l'infiniment vanille n'a d'égal que l'attraction craquante du caramel salé.

Donc ce matin - comme chaque matin - Charlotte aura fait son lèche-vitrine et sera en retard d'autant plus qu'une vieille ganache à qui elle aurait volontiers mis deux tartes l'aura bousculée en lui écrasant les nougats!
C'est qu'elle a le nougat sensible, Charlotte; le pinceau mignon mais anorexique, le ripaton délicat des Cendrillon modernes qui se sacrifient sur l'autel haut perché des Louboutin!

Comme chaque matin elle va me rouler dans la farine, m'expliquer qu'elle mettra les bouchées doubles pour rattraper son retard et finalement m'avouer - tout en piquant faussement son far et sur le ton de la confidence - que je suis la crème des hommes!
J'avoue que Charlotte me fascine beaucoup, passionnément mais pour la bagatelle j'ai toujours fait chou blanc, pénalisé au premier chef par cette brioche que j'ai prise avec la quarantaine et qui est un peu la marque de fabrique de la profession.

Comme d'habitude je la laisserai pérorer, épiloguer, conscient que tout ça n'est que du flan et que si j'ose la gourmander, c'est Suzette - venant tous les jours de Pithiviers - qui va encore ramener sa fraise.
Il est donc superflu que je leur rappelle qu'il y a Quatre quarts dans une heure et pas seulement trois.
Je l'entends d'ici me répliquer que ça ne coûte pas bonbon d'avoir quinze minutes de retard... que tout ça ne m'empêchera pas de faire mon beurre... de vivre comme un coq en pâte et tant d'autres mignardises qui sont un peu la marque de fabrique de la prof... ça je l'ai déjà dit.

Je me serais bien passé de ce chipotage alors que nous recevons ce matin une grosse cliente - soeur Madeleine, religieuse à Saint-Roch - pour une importante commande d'hosties-calissons à la passion.
Notre soeur Blanche - qu'on surnomme 'tête de nègre' en nous fendant la poire - a décoré sa voiture d'un macaron de Lourdes apposé sur son pare-brise feuilleté du plus bel effet.
Elle prétend que ça la protège bien plus qu'une dizaine d'Ave Maria des incivilités des aubergines qui écument le quartier!
Comme soeur Madeleine passe la porte du magasin, Charlotte arrive sur ses talons si vite qu'elle se gaufre sur un mendiant qui fâcheusement quêtait des miettes sur le passage.
“Une charlotte gaufrée sur un mendiant, c'est du gâteau!” s'écrie Suzette qui n'en manque pas une.
Je suis déconfit. Sans faire de chichi j'expédie Suzette illico dans l'arrière-boutique pour surveiller le démarrage des Paris-Brest.

Charlotte est à deux doigts de tomber dans les pommes, deux doigts que je serrerais volontiers dans les miens mais Tête de nègre - garée en double file - s'impatiente vu qu'elle doit filer pour la messe de 10 heures à Notre Dame de Chantilly.
Mais le client est roi et donc la nonne - péteuse ou pas - est reine... alors je satisfais notre fidèle cliente tout en regardant se relever puis s'éloigner en claudiquant ma friandise...

4 commentaires:

  1. Quelle jolie pièce-montée, je savoure la finesse et l'humour de ce texte très habile que j'accompagne d'un thé au jasmin.

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  2. On ne peut pas s'abonner à la news' letter chez vous?

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    1. En bas de page dans la rubrique: "Votre email pour être informé" ... ça doit fonctionner !

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