lundi 16 mars 2015

On patauge, chef!

Publié aux Impromptus Littéraires d'après la photo de Cacoune






Deux détonations avaient précédé un beuglement sauvage, comme le cri d'une bête blessée.
L'oreille rivée au téléphone, l'inspecteur La Bavure commençait à trouver le temps long.
“Qu'est ce qui s'passe, bordel?” hurla t-il.
Un silence interminable, puis la voix de Ouatson:”Ça vient de Ouatelse, chef... elle dit qu'elle est touchée grave”
“Merde! C'est grave comment?”
“Euh... ça doit être les nougats, chef. Elle a dégueulassé ses Louboutin! Faut dire qu'on patauge pas mal dans cette bouillasse depuis des heures”.
Les excentricités vestimentaires de Ouatelse avaient le don d'exaspérer celui qui tentait vainement de maintenir un semblant de réputation dans son service du 36 Quai des Oeufs Frais.
La Bavure reprit:”Vous les avez identifiés au moins? Y sont combien?”
“Deux, chef! Deux Louboutin... une paire, quoi”
La Bavure explosa:”J'vous parle pas des grolles de Ouatelse, bordel!”
“Euh... des apprentis, chef... c'est vraiment des apprentis... deux ou trois bien serrés, comme qui dirait des mitoyens... assez grands, décrépits et très sales... je dirai même repoussants”
“De quoi vous m'parlez Ouatson?”
“Des bâtiments, chef... des apprentis!”
La Bavure fulminait:”On dit des appentis, mon vieux! Devriez retourner à l'école de police”
“Euh... en tout cas, on patauge, chef... ça s'ra pas facile de faire sortir le vieux!”
Ouatelse avait fini de beugler et le silence s'éternisait à nouveau.

“Qu'est ce qu'y fait l'vieux, maint'nant?” s'impatienta La Bavure.
“Euh... de la soupe, chef... ça sent la soupe au chou. Je dirais une classique à la tomate avec un bouquet garn...”
“Hein?”
“Vu qu'il a cessé de tirer, le vieux a dû poser sa pétoire pour se faire une soupe, chef! Faut dire qu'il est huit heures et que nous aussi on a...”
“Si c'est tout c'que vous avez comme renseignements, mon vieux... du culinaire... c'est maigre”

La Bavure crut percevoir un bref conciliabule puis reconnut l'inimitable voix de crécelle de Ouatelse: “Respect, inspecteur... c'est Ouatelse. Voilà la situation: le vieux s'appellerait Marcel Cruchot et il aurait pété les plombs en découvrant sa femme couchée sous l'apprenti...”
On se souvient que Ouatelse avait été recrutée deux ans auparavant, plutôt bien armée côté pare-chocs mais dénuée de tout jugement.
La Bavure bouillait: ”Vous allez me saouler longtemps tous les deux avec vos apprentis?”
“Euh... disons que le vieux a trouvé sa femme en pleine partie de jambes en l'air sous leur apprenti, alors il a décroché sa pétoire puis le téléphone... ce pourquoi on intervient, inspecteur. Attendez, je sens que ça bouge!”

“Qu'est-ce qui bouge, bordel?” s'impatienta La Bavure.
“Difficile à dire, inspecteur. Avec toute cette bouillasse, c'est la courroie et la barrière pour distinguer quelque chose”.
La Bavure bouillait pour la seconde fois: “Vous voulez surement dire la croix et la bannière, Ouatelse”.
“Non inspecteur, c'est bien une barrière!” confirma sa perspicace collaboratrice.
On entend crier confusément...

“Inspecteur! Il est sorti en criant Mort aux vaches! Y va s'en prendre au cheptel... ça va être un carnage, une boucherie!”
La Bavure se sentait las, très las: ”Ouatelse... allez repasser une paire de bottes et enfilez-moi Ouatson... ou plutôt le contraire”.
“Et pour ces malheureuses vaches, inspecteur? On fait quoi?”
“Ecoutez-moi bien. Cette menace s'adresse à l'autorité - en l'occurrence, vous - et non pas à la gent ruminante qui a salopé vos pompes!! Suis-je bien clair?”
“Euh...”

Un bref conciliabule puis à nouveau la voix de Ouatson: ”Ouatelse n'a pas tout imprimé, chef”.
“Ouatson, vous aurez tout l'temps pour rancarder Ouatelse sur l'expression Mort aux vaches... pour l'heure vous allez m'investir cette bâtisse et sortir le vieux par la peau du cul avant que j'prenne des sanctions! Understand?”
“Oui, chef!”

…...

Rapport de l'inspecteur Ouatson, faxé au 36 Quai des Oeufs Frais le 15 mars 2015 à 22:00

Le dénommé Cruchot Marcel, éleveur de sexe masculin résidant lieudit La Gouzotte à Fouzy-sur-La-Tronche (21) a été trouvé décédé dans son assiette à côté d'un fusil calibre 16 et de cartouches idoines en grand nombre.
Une forte odeur de soupe au chou et de trichloroéthanol a nécessité l'usage d'un masque à gaz à cartouche filtrante M68 pour moi-même et d'un masque vénitien Louis Vuiton pour l'agent Ouatelse.

L'agent Ouatelse a ensuite procédé elle-même à la mise en sécurité d'un troupeau de trois têtes cornues de race charolaise tandis que j'auditionnais la veuve et Lorfelin (l'apprenti a déclaré s'appeler Désiré Lorfelin).
Selon les dires de sa veuve – de race indéterminée - Cruchot aurait été empoisonné “comme un beusenot-même-pas-fichu-de-préparer-la-soupe”.
Sa veuve l'aurait trouvé gueudé, beucalé dans son assiette et viaunant très fort à en attraper le virot.
Malgré cinq ou six galopins de Kir (2/3 d'aligoté, 1/3 de crème de cassis) offerts courtoisement, nous n'avons pas été en mesure d'interpréter ses propos ni Lorfelin non plus.

L'audition de Lorfelin – de race toute aussi indéterminée - a permis de recueillir quelques détails à propos du décédé Cruchot qualifié de râlut, bâtard, beurdodo, arquandier, treiniaud, gros fumier ainsi que de ventre-jaune.
Malgré deux ou trois galopins de blanc-cassis (4/5 d'aligoté, 1/5 de crème de cassis) offerts courtoisement, nous n'avons pas été en mesure d'interpréter les propos de Lorfelin.
Cependant l'examen du corps décédé n'ayant pas révélé un ventre de couleur jaune, nous avons interpellé Lorfelin en dépit des protestations véhémentes de la veuve telles que busards, drouilloux, dort-en-chiant et ramiers.
Malgré un ou deux canons d'aligoté (2/3 d'aligoté, 1/3 d'aligoté) saisis en représailles, nous n'avons pas été en mesure d'interpréter ses propos à notre encontre.
Nous avons donc immédiatement procédé à la mise en sécurité d'un quartaut de 57 litres d'aligoté et décidé d'occuper les lieux à la recherche d'indices manifestes.
La gendarmerie de Fouzy-sur-La-Tronche (21) s'est chargée de ceux que nous nommerons faute de mieux “malheureux étrangers d'origine indéterminée”.

P.S: Le peloton de gendarmerie affecté à l'échangeur de Pouilly sur l'autoroute A6 nous a signalé la divagation de trois têtes de bétail de race indéterminée.




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