mardi 15 mars 2016

O i o i o iooooo

Publié sur le site MilEtUne d'après l'illustration consacrée à Mark Zuckerberg et la Réalité Virtuelle



La première chose que vit Marcel en entrant dans la salle obscure c'est qu'il n'y avait rien à voir. Plus précisément il n'y avait pas d'écran.
Il déchiffra une nouvelle fois son ticket d'entrée “Virtual Reality. Salle 5”.
Ou bien il s'était trompé de salle ou bien il s'agissait de théâtre et on ne lui avait rien dit.
Comme il se retournait – cherchant une ouvreuse ou quelqu'un pour le renseigner – il vit que tous les spectateurs portaient un curieux engin sur la tête, une sorte de casque opaque greffé sur leurs yeux tels le calao ou le casoar.
Pourquoi ne lui avait-on pas proposé ce machin à l'entrée?
Marcel toucha l'épaule du spectateur le plus proche de lui; celui-ci émit un grognement rauque à la façon d'un gorille.
Derrière le gorille un homme tanguait dangereusement, cramponné à son fauteuil comme un naufragé à sa pirogue. Marcel le retint de peur qu'il ne disparaisse dans les remous du fleuve...
Les remous du fleuve! Marcel réalisa avec horreur ce qu'il venait d'imaginer à l'instant.
Sous ses pieds, rien qu'une épaisse moquette et autour de lui une marée humaine agitée d'où montait un bruissement sourd.
Comme Marcel battait en retraite, une main se referma en étau sur son bras.
Une femme hystérique le secouait sans ménagement en poussant des cris de macaque ou de babouin.
Marcel tenta d'échapper aux ongles acérés mais la femme pourtant fluette ne lâchait pas son bras.
“Tarzan! Au secours!” hurla t'elle en se levant brusquement.
Marcel ne voyait guère d'issue à ce combat sauvage. La malheureuse allait disparaître dans la jungle, emportée par King Kong ou quelque tribu sanguinaire!
De sa main libre il arracha le casque.
La jeune femme retomba dans son fauteuil, échevelée, et leva un regard empli de reconnaissance vers Marcel :“Merci Tarzan. Vous m'avez sauvé la vie”.
Elle n'avait pas lâché son bras.
Marcel Tarzan prit un sourire satisfait. ”Oh ce n'est rien” dit-il à voix basse comme pour s'excuser d'être là “je viens déjà de sauver un naufragé”.
La jeune femme lui jeta un regard éperdu de reconnaissance :”Vous allez rester près de moi, n'est-ce pas?” et elle lâcha son bras pour remettre le masque sur sa tête.
Marcel Tarzan recula lentement, laissant Jane à ses ennuis.
A mesure qu'il reculait, des bribes de conversations lui parvenaient, des soupirs d'extase, des invectives, des cris d'effroi et des râles funestes.
Sous ses yeux chacun de ces esclaves casqués tremblait, jurait ou crevait dans l'indifférence générale et sans que personne ne vint à leur secours... à part lui.
Avant d'atteindre la porte de sortie il dut enjamber quelques corps secoués de spasmes et – ayant repoussé un ultime excité pendu à son cou qui beuglait “T'as d'beaux yeux, tu sais” – il sortit précipitamment.
Au guichet il demanda à être remboursé de la place qu'il n'avait ni virtuellement ni réellement occupée mais le préposé l'ayant virtuellement envoyé sur les roses il l'assomma d'un coup de poing bien réel.

Sur le parking du multiplex, des paradisiers chantaient en faisant la roue sur un lampadaire, un rayon de soleil jouait à cache-cache avec une canopée de pollution industrielle.
Marcel Tarzan rajusta son pagne et inspirant à pleins poumons l'air vicié du parking il chassa les oiseaux d'un O i o i o iooooo asthmatique puis se dirigea vers sa Panda géante noire et blanche qui ronronnait d'impatience.

Il n'était pas près de retourner voir un film de ce Marc Montagne de Sucre!
Pas étonnant qu'avec un nom pareil , les gens deviennent fous...



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