mardi 29 mars 2016

Pâques aux tisons



Sur le thème de l'Oeuf, les Impromptus Littéraires vont nous faire baver:


Pâques c'est la renaissance, l'éclosion du printemps, alors en vers ou en prose, en omelette ou in-vitro, en fossile ou en caviar, qu'il ait fait la poule ou bien le contraire... parlez-nous de votre oeuf.







J'ai fait revenir tout spécialement de Bacon de fines tranches de lard salé à feu doux dans une poêle dont j'ai vainement cherché l'accent circonflexe depuis la récente réforme de l'orthographe.

J'ai fini par le trouver pêle-mêle dans un placard, du coup j'en ai trois!
Comme un gros naze j'avais voulu commander mon lard sur Amazon.uk, persuadé que Bacon se situait en Grande-Bretagne, comme si le jambon d'York venait des Etats-Unis ou la salade romaine d'Italie !
Finalement j'en ai trouvé chez Ducoin, le petit arabe Ducoin en bas de mon immeuble qu'on appelle tous Oussama parce que ça fait plus épicier.
Ne me demandez pas comment il a trouvé du lard salé celui-là – il y a des sujets comme les circuits courts qu'on n'ose pas aborder avec son épicier – toujours est-il qu'il m'en a proposé sous le manteau... enfin, sous le boubou.
Il m'a aussi appris que Bacon était une localité du sud de la Côte d'Ivoire.
Comme je lui demandais où il avait pu lire cette connerie, il m'a répondu: “J'y suis peut-être ivoirien mais j'y m'appelle Konan en fait mais on dit Le Barbare dans mon village” , comme quoi on a tôt fait de se fourvoyer sur les origines de son épicier.
Et quand il a ajouté que son grand-père était entré en résistance aux côtés de De Gaulle en 40, je me suis dit que je n'allais plus pouvoir le regarder comme on regarde son épicier en bas d'un immeuble.
Du coup on s'est embrassés – enfin, surtout lui – et il m'a offert le bacon qui revient actuellement à feu doux et sans matière grasse parce que je n'en ai pas sous la main... enfin, j'ai du gras sous la main mais pas pour la cuisine.
Pendant que ça rissole je casse un à un les oeufs de chez mon épicier nouvellement ivoirien dans un des ramequins de tante Yvonne, parce que je n'ai jamais eu de bol et que les cadeaux de mariage c'est fait pour ça... pas toujours pour avoir du bol mais pour avoir de la vaisselle.
Je la revois encore nous offrant ce duo de ramequins en porcelaine décorée de petits amours ailés et joufflus – la porcelaine, pas Yvonne – qu'elle avait ramenés d'un voyage au Népal ou d'Arcopal enfin, un truc en Pal... bref, pas de quoi en faire un plat d'autant que ce jour-là Micheline et moi étions fourbus d'une nuit de noce folkloriquement éreintante et peu branchés dînette.
 

Pardonnez-moi si je vous passe les détails de nos acrobaties mais j'entends mon lard salé qui revient et il est grand temps que j'y verse mes oeufs avant qu'il ne reparte.
“Faire cuire 3 minutes en arrosant avec la graisse du bacon jusqu'à ce que le blanc soit pris alors que le jaune est encore liquide”!

J'ai toujours eu horreur des contraintes et encore plus des ordres – Micheline pourrait vous le dire – alors je sens que ces trois minutes vont me courir sur le haricot.
Je touille dans la poële avec un tréma – ça cuit aussi avec un tréma – et avec le dos de la cuillère, cherchant désespérément la graisse du Bacon de Côte d'ivoire que m'a donné Konan Le Barbare... ce charlatan m'aurait cédé du lard sans graisse de lard?
Soudain je revois ces petits porcs noirs courant au milieu de villages noirs dans cette Afrique noire qu'on nous impose le soir en 16/9ème et Haute Définition à trois mètres du canapé et aux caprices du zapping!
Il est vrai que ceux que j'ai vus n'étaient pas gras et d'abord le zapping, ça devrait être interdit...
Alors d'accord Konan m'en a fait cadeau mais comment je fais moi pour arroser mes oeufs? 
D'habitude j'appelle Micheline à la rescousse mais ces oeufs au bacon c'est une surprise que je veux lui faire, la surprise d'un dimanche matin d'anniversaire de mariage depuis qu'on est mariés, depuis les fameux ramequins en Pal de tante Yvonne, depuis... combien d'années déjà?
Le temps passe si vite, aussi vite qu'un jaune d'oeuf pour se figer quand on ne l'arrose pas.
On devrait vendre la graisse de lard en tube, comme le dentifrice ou le ketchup: une pression et hop, le tour est joué. Y a un truc à trouver avec ça.
Tant pis, je sale et je poivre copieusement, Micheline aime bien quand c'est salé et poivré.
 

“Pour des œufs miroir, mettre un couvercle sur la poêle en fin de cuisson”.
Pas envie de faire des oeufs miroir, avec mon manque de bol je serais fichu de casser les oeufs miroir et ça... ça doit surement porter malheur.
De toute manière et si je peux user d'une métaphore la seule fois où j'ai essayé d'ajuster un couvercle sur une poêle c'est quand j'ai rencontré Micheline et c'était pas pour son goût du rangement.
Je regarde ma surprise d'un dimanche matin d'anniversaire de mariage et je me dis qu'une fois par an c'est encore de trop quand on pense à tout ce gâchis: une poule et un cochon pour un tel résultat.
 

Cramponné au plateau repas, je pousse sans bruit la porte de la chambre; inutile car ça ronfle sec, ça vrombit, ça rugit, ça mugit, comment dire ?
Micheline fait partie de la catégorie des Ronfleurs Inspiratoires Dominants, c'est du soixante décibels au bas mot et du trois cent Hertz au plus aigu !
Je pose ma création au bord du lit pour retirer mon pyjama et repousse la couette histoire de réveiller ma locomotive.
Un rugissement me répond; ma Micheline ouvre un phare.
Je lui glisserais bien un “T'as d'bio oeufs, tu sais” mais depuis le temps que je la pratique, je sais qu'il faut y aller doucement quand son chant frise les trois cent Hertz.
Mais voilà quarante jours que je fais carême – Micheline a des principes indéboulonnables – et je me sens d'attaque à célébrer la Pâque, avant ou après les oeufs au bacon ou peut-être les deux à la fois.
Il faut dire que chez nous, Carême c'est jeûne et abstinence pendant plus d'un mois. J'ai eu beau tenter d'expliquer à Micheline que l'abstinence d'absorption d'aliments carnés ne s'appliquait pas à certaines parties du corps humain, elle a fait mine de ne pas comprendre.
Raconter ça à mon épicier arabo-sénégalais qui fornique à tout va reviendrait à le faire mourir de rire... et je me sens tellement ridicule à poil devant mes oeufs.
Micheline remonte prestement la couette en jetant un oeil vide sur mon plateau repas: 
“Oeuf au bacon, Pâques aux tisons” bougonne t-elle en grelottant.

Il me reste à me rhabiller en songeant qu'il faudra que je révise mes dictons.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire