lundi 4 juillet 2016

Cagouilles en brochette

Publié aux Impromptus Littéraires d'après les mots du poème de Boris Vian "Le temps de vivre"




Il a dévalé la colline
Ses pieds faisaient rouler des pierres
En bas, dans le bois du père Martenot où il avait établi sa cabane une fumée montait droite comme un cierge pascal à Saint-Bénigne.
Quel sauvage osait faire du feu dans son fief en plein mois de juin?
A mi-chemin – si tant est qu'il y eut un chemin – il évita d'un bond une profonde rigole creusée par les dernières pluies mais ne vit pas une ronce qui l'envoya mordre la poussière d'un sournois croc-en-jambe.
“Vindiou” jura-t-il en frottant ses genoux couronnés et il reprit sa course en gambillant (boitant); il en avait vu d'autres comme cette fois où ceux de Verjus l'avaient rossé pour les avoir traités de beusenots.
Celui-là qui faisait du feu chez lui allait payer pour cette félonie.
Il s'arrêta un instant pour souffler, trouva à travers sa poche le contact rassurant du lance-pierre; dans la combe, c'est pas les pierres qui manquaient et il saurait en trouver de belles pour la tête du quéqué qui osait faire du feu sans sa permission...
Il en soupesa plusieurs qu'il garda en main, pas trop lourdes mais assez tranchantes pour apprendre les bonnes manières à ce busard !

Le busard était assis de dos devant un maigre feu de bois trop humide qui fumait comme dix sapeurs... il ne pouvait pas l'avoir entendu arriver.
Comme il bandait son lance-pierre en direction de la nuque échevelée, le busard tourna la tête. Ses longs cheveux blonds – pas comme les tignasses des gars de Verjus – encadraient un visage aux traits fins... il n'était pas de chez nous, peut-être un cul-terreux, un de la Saône-et-Loire ou de plus loin encore, un vrai étranger. Que faisait-il ici près de sa cabane à faire du feu?
Il n'eut pas le temps de questionner.
Le busard s'était redressé, un timide sourire aux lèvres et lui tendait quelque chose :”T'en veux une?”
Il désarma son lance-pierre pour prendre ce qui ressemblait aux tiges de sureau qu'il crapotait pour faire comme les adultes, mais là c'était une cigarette, une vraie.
L'autre lui tendit un briquet :”C'est un Zippo” dit le busard d'une voix fluette.
Il dévisagea l'étranger :”T'es pas d'ici... qu'est-ce que tu viens rebeuiller (fouiller) sur mes terres?”
Le busard ne quittait pas son petit sourire et le regard bleu acier s'était adouci.
Décidément il était trop chaponné (efféminé) pour un cul-terreux. Il faillit lui demander s'il était une fille mais il savait trop bien que si c'était faux il lui en cuirait et si c'était vrai il lui en cuirait aussi...
Il n'eut pas à prendre le risque.

“J'm'appelle Florentine mais t'as qu'à m'app'ler Flo” dit l'étrangère et elle ajouta :”Tu t'allumes tout seul ou j'viens r'prendre le Zippo moi-même?”
Malgré le sourire l'étrangère avait pas l'air de plaisanter.
Il alluma gauchement la vraie cigarette et en tira une vraie grosse bouffée d'homme en pouffant (toussotant).
”C'est la fumée de ta foutue fouillère” se défendit-il en lui rendant le Zippo “faut être tarée pour faire une fouillère (feu en plein air) en été! Et pis faut prendre du châtaignier ou du robinier bien sec... j'en ai une réserve là-bas”.
Flo eut un franc sourire :”Oh ça va! C'est juste pour faire cuire ma brochette de cornus”
Il chercha à voir à travers l'épaisse fumée :”Une brôchette de quoi?”
Flo désigna du doigt une tige noirâtre :”Des cornus... des cagouilles, quoi!”
Instinctivement il serra les pierres coupantes qu'il avait gardées en main :”Les cagnoles, où don qu'tu les as trouvées?”
“Dans la cabane, c'te blague” dit-elle sur un ton léger.
Il s'était cheurté (assis) lourdement et jeta sa cigarette dans le feu, le souffle coupé, le regard fixé sur le tiau charbouillé (baguette noircie) qui crâmait.
Cette embistrouilleuse venait d'incinérer sa meilleure équipe de cagnoles, une dream team classée première aux derniers championnats régionaux de Chassagne-Montrachet: Cinquante et un centimètres en moins de trois minutes, des jours et des semaines d'entraînement.
“Vindiou... Cré Vindiou” répéta-t-il en retenant un sanglot. Forcément, à c't'heure ses Helix pomatia allaient jarter (courir) bien moins vite.
Flo avait perdu son sourire :”Y'a un problème?”
Il aurait pu lui sauter à la gorge, lui hurler sa haîne, la pousser une bonne fois dans la fouillère. Il ne fit rien de tout ça.
Pour sûr y'avait un problème de taille. Une gouine qui crapotait des Craven A et allumait un feu de bois vert en plein été avait ruiné ses espoirs de gagner le championnat du monde de course de cagnoles... ceux de Verjus allaient en mourir de rire!
“T'as crevé mes championnes” chouina-t-il à l'instant où une soudaine rabasse (averse) s'abattait sur eux, un garot d'été qui les força à courir se réfugier dans la cahute.
Jusque là il n'avait eu ni le temps ni l'envie de reluquer l'intruse.
Il découvrait un minois picassé de nantilles (taches de rousseur) qui lui donnaient des airs
de poulbot, un minois mangé par deux quinquets bleu océan qui lui filaient le virot...
La rabasse n'avait pas eu le temps de les gauger (tremper) jusqu'aux os mais il devinait la poitrine naissante sous le mince tricot mouillé.
Il détourna la tête pour sortir d'un panier une fillette d'aligoté chipée dans la cave d'Oncle Hubert :”T'en veux un galopin?”
Flo éclata de rire :”C'est quoi un galopin? Un chenapan, comme toi?”
”C'est juste ça” dit-il en ramassant un verre.
Elle lui prit la bouteille des mains :”J'préfère boire au goulot”.
Il trouva qu'elle buvait bien, comme un mec en s'essuyant la bouche d'un revers de main et en rotant de plaisir.
Il but à son tour au goulot qu'elle venait de suçoter à l'instant et c'était bon.
Il rota à son tour.
“Vindiou, tu fais un sacré busard” trouva-t-il à dire pour tenter de dissiper sa gêne grandissante.
“T'es toujours fâché pour les cagouilles?” demanda-t-elle.
Il ne savait plus.
Dehors, un franc sulot (soleil) avait séché la rabasse mais il n'avait pas envie de bouger.
Il frotta ses genoux couronnés où le sang avait séché.
Flo l'interrogea du regard.
“Ton feu aura crevé” dit-il simplement.
L'homme ne vaut rien. La femme pas grand chose, mais l'un et l'autre font le monde disait souvent Oncle Hubert aux veillées de famille...
C'était ben vrai



4 commentaires:

  1. c'est bon de manger des cagouilles juste comme ça le soir près du feu de bois, avec un bon listrac médoc château moulin à vent qui échauffe les joues et baisse les inhibitions de la timidité pour un petit baiser effleuré alors que l'on sent sont odeur qui accélère les battements du cœur et que les désirs s'éveilles à la lueur des flammes

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  2. Un texte où règne une lumière ciselée en noirs et blancs comme dans les films du meilleur cru...
    Hein ? Nan, c'est pas une contrepèterie ;)

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    1. En noir et blanc... merci d'en remettre une couche, l'ami. Tout ça ne me rajeunit pas :)

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