jeudi 18 janvier 2018

Du faisan ?

Publié sur le site MilEtUne d'après le tableau d'August Macke




Le vendredi c'était pour moi le jour du poisson mais depuis Germaine c'est le jour du lèche-vitrine, enfin elle... pas moi. Moi je gère les comptes vu qu'elle ne se contente pas de lécher les vitrines, ça serait trop simple.
"J'arrive tout droit de la rue de Rivoli" me lance t-elle – échevelée, le chapeau de travers et encombrée de cartons à chapeaux – "quelle expédition !"
"Rivoli" dis-je "alors ça n'a pas changé... Napoléon disait déjà ça en 1797. Tu as dû croiser des autrichiens"
Germaine abandonne ses cartons : "Pourquoi des autrichiens ? J'ai surtout vu des asiatiques et quelques femmes du monde comme moi... "
Je jette un coup d'oeil aux cartons d'une femme du monde : "Et il y en a combien aujourd'hui ?"
"Je n'ai pas compté mon cher, vous savez bien que j'y vais au feeling, au coup de coeur et puis j'ai mes chouchous... vous avez entendu parler de Caroll "
Je m'interroge : "Carole Dugenou... la concierge ?"
Elle voit rouge : "Mais non ! Caroll, la boutique Caroll ! Tu imagines la concierge avec un chapeau ?"
On vient de passer au tutoiement, signe d'agacement.
Oui, j'imagine très bien la concierge avec un bibi. Depuis quand les boutiques de mode seraient-elles interdites aux concierges ?
Germaine reprend : "Aujourd'hui j'ai sacrifié à Zadig et Voltaire"

C'est le mot sacrifier qui me fait peur, ce sont des mots comme ça que j'associe à faillite, banqueroute, échafaud...
Je m'interroge encore : "Zadig de Voltaire ? Tu t'intéresses aux philosophes des Lumières maintenant ?"
Germaine s'affale sur une chaise : "Qu'est-ce que tu m'embrouilles avec tes philosophes des lumières ? J'ai assez de soucis pour m'habiller décemment sans aller courir les marchands de luminaires"
Elle fronce les sourcils et ajoute : "Au fait, pourquoi ça ? T'aurais pas cassé mon lustre à pampilles ou un halogène avec tes expériences à la noix ?"
D'habitude elle emploie des termes plus crus pour mes expériences à la noix, mais je ne relève pas et je ne les rapporterai pas ici (n'insistez pas), Germaine n'a jamais rien compris à mon art du bricolage.
Son dernier bibi est impressionnant, j'ose une question sur sa plume : "C'est du faisan ?"
Germaine a son regard noir : "Du faisan ? Je ne fréquente pas les escrocs, Monsieur. C'est un achat tout à fait légitime, accompagné d'ailleurs d'un certificat d'authenticité "
Je me racle la gorge : "Je parlais de l'animal à qui on a arraché cette plume" et je montre du doigt la penne authentifiée du malheureux volatile.

Inutile de relancer la polémique sur sa folle lubie pour les plumes; son dressing ressemble aujourd'hui à une volière et je m'attends à tout instant à y entendre caqueter une poule ... sans parler de Germaine.
Passons au sujet épineux : "Et il y en a pour combien de tout ça ?"
Germaine, évasive : "Une grosse demi-heure"
"Une grosse demi-heure, quoi ?"
"Une demi-heure pour tout ranger"
Je déclare forfait, il est temps que j'aille prendre l'air : "Ce n'était pas ma question"



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